• Lettres d'intentions par Henri Poincal, extrait : 

     Paragraphe 71.3

        

      

     

         Je soussignée, Eugénie Cholet déclare demander l’assistance de la société Euthan’easy pour bénéficier d’une belle mort. J'ai 95 ans et je n'ai plus le corps assez fort pour me faire moi-même la cuisine, ce que je savais si bien faire quand j'étais plus jeune. Je n’ai plus l’audition assez fine pour écouter de la musique, la vue assez claire pour lire. Lire en écoutant de la musique était le seul plaisir de mes vieux jours. Bientôt je ne pourrai même plus me déplacer avec le déambulateur. Rester au lit de longues semaines n'est pas ce que je veux. Je ne veux pas être clouée au lit jusqu'à la mort. Je veux quitter ce monde avant ma complète déchéance physique et morale.     

       Me suicider est quelque chose de violent dont je ne me sens pas capable.      Sur internet j'ai trouvé le site Euthan'easy qui propose une solution d'assistance au suicide. Je n'avais jamais imaginé que cela puisse être accessible. Ce n'est juste qu'une question d'argent que j'ai réglée facilement.    Je demande l'assistance de  Madame L'opératrice d'Euthan'easy, pour le jour où je pourrai enfin recevoir ma cuillerée du miel de paix royale.  Ce ne sera peut-être pas joyeux, mais ce sera un bon départ pour l’au-delà.  

    Fait à Durtal, le 10 Avril 2018.  

     

       Après, il y eut un assez long silence qui nous rapprocha dans la même méditation. Je regardais la lettre, Eugénie me regardait. Ce fut Eugénie qui prit la parole la première :    

    —  Puisque vous me dites que vous êtes là pour cela, finissons-en maintenant !... 

    —  Non. Il faut que je vous explique d'abord comment les choses vont se passer. Puis je dois vous laisser le temps de parler ou d'écrire à quelqu'un si vous le souhaitez. Je dois être absolument certaine que nous avons choisi la bonne date. Pour que ce ne soit ni trop tôt, ni trop tard, ai-je précisé.    

    —  Faites vite alors, parce que maintenant que j'ai pris ma décision, je ne veux plus attendre encore et prendre le risque d'être hospitalisée, d'avoir des perfusions et de ne plus avoir le contrôle !... Regardez ce qui est écrit là :    J'ai regardé, punaisé sur le mur de la chambre une simple feuille sur laquelle on pouvait lire :   En cas de problème, si je suis inconsciente ou autre, ne pas appeler les pompiers, ni le SAMU. Téléphonez à... sur la feuille était collé un post-it bleu pâle tout griffonné qui masquait le numéro.    

    —  Parce que vous notez tout ce que vous avez à faire, pour ne rien oublier, comme à la veille d'un déménagement ?    

    —  Exactement : c'est le soir, tous les cartons sont faits et demain matin, à la première heure, je vais partir !...    

    ...  

    —  Demain, s'il vous plait, me demanda Eugénie.    

    —  Ce sera la veillée de Noël, me suis-je exclamée. On ne peut tout de même pas faire cela le jour de Noël, Madame Cholet !...    

     —  Le jour de la veillée de Noël, pourquoi pas ? Un petit joufflu qui naît, une vieille sorcière ridée qui meurt, le Bon Dieu trouvera ça bien naturel s'il se trouve !... J'en ai soupé d’être une bonne parpaillote !... J’ai bien le droit d'avoir mon dernier petit plan diabolique. Que voulez-vous, la première femme du Maine et Loir qui commande son suicide assisté sur la toile doit être un peu sorcière. Avec une belle araignée au plafond !...  Un fils de Dieu qui descend, une fille de Satan qui monte, c'est la noria de la vie, n'est-ce pas ?   

    —  Bien madame, c'est entendu. Je serai là vers vingt-trois heures. Dites-moi s'il est possible de parvenir jusqu'à vous sans passer par l'entrée principale.    

    —  Je vais vous montrer. Marcher un peu me fera du bien. Je n'ai pas bougé de toute la journée.    Eugénie s'est levée péniblement. Aidée du déambulateur, elle parvint à dérouiller la rigidité de ses articulations.    

    —  Vers vingt-trois heures, dites-vous, je préfèrerais minuit !... Voyez-vous, le monde tournerait mieux si les humains retrouvaient le goût des grands symboles !...    En face d'Eugénie, sur le mur de la chambre, il y avait un crucifix.

    —  Vous voudrez bien le retourner, s'il vous plaît. Je ne voudrais pas provoquer un scandale, m'a-t-elle précisé.    

       Je me suis levée pour l'accompagner, j'ai remis mon voile et j'ai accepté le rendez-vous précis. Avec Eugénie à mes côtés, poussant l'appareil qui lui permettait encore de marcher, nous sommes arrivées lentement au bout d’un long corridor qui s'ouvrait dans une sorte de poste de gué situé à l’angle de la forteresse. L’ancienne échauguette était close d’une lourde porte de bois à doubles ventaux. La crémone était tapissée d’une magnifique toile d’araignée. Une petite porte secondaire était aménagée sur la droite...                           

    —  Elle vous sera ouverte, pour notre petite messe de minuit !...     

     

       Le lendemain, la messe était dite... Madame Cholet s’était elle-même piquée avec la petite abeille. En partant, j'ai retourné le crucifix, comme promis.    Madame Cholet était une personne qui n’avait pas les tabous des gens ordinaires. Elle avait mis ses affaires en ordre, et avait fait son bagage. J'ai simplement allégé son fardeau pour le dernier voyage.     Madame Eugénie Cholet avait le sens du clap de fin… 

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